L'empathie : la nouvelle pédagogie
Qu'est-ce que l'empathie ?
C'est un terme que l'on entend de plus en plus surtout lorsqu'il s'agit d'éducation. Nos voisins scandinaves, notamment finlandais nous ont surpris il y a quelques années par leurs résultats aux examens internationaux PISA démontrant l'efficacité de leur système éducatif. Par la suite, le terme "empathie" a commencé à faire son apparition dans le milieu scolaire finlandais et a fait partie intégrante de son plan de réforme éducatif jusqu'en 2020. De plus, cela fait 40 ans que les danois mettent l'accent sur l'empathie au sein de l'éducation parentale, et depuis quelques années à l'école aussi, comme une matière à part entière, avec autant de poids que les maths ou l'anglais. Le ministère de l'Éducation nationale français a commencé à en parler lors des réformes scolaires de 2013, lancées par Vincent Peillon, et par la suite en janvier 2024 lorsque Gabriel Attal, alors ministre de l'Éducation nationale, publie "Le Kit pédagogique pour les séances d'empathie à l'école", des cours qui seront généralisés à toutes les écoles primaires à la rentrée de septembre 2024.
Alors, qu'est-ce que concrètement l'empathie ?
D'après la définition du dictionnaire, l'empathie est la capacité de ressentir ce que ressent l'autre Il s'agit d'une capacité à réellement percevoir le point de vue de l'autre au niveau émotionnel et de ce fait, d'être capable de reconnaître l'émotion C'est ce qui différencie l'humain de l'intelligence artificielle (c'est à dire notre capacité à percevoir et à ressentir les émotions). Être dans une démarche empathique sous-entend alors, que non seulement l'on soit capable de reconnaître et de ressentir nos propres émotions, mais que l'on soit aussi à la recherche du ressenti de nos interlocuteurs. En agissant ainsi, nous arrivons à mieux nous comprendre ainsi que la portée de nos choix.
La pédagogie de l'empathie est une démarche qui vise à créer une société plus à l'écoute, afin de réduire les tensions à l'origine de la violence inter-relationnelle, ce qui est la première motivation annoncée de Gabriel Attal à travers le kit pédagogique sur les séances d'empathie: "Former les élèves à l’empathie doit améliorer la qualité des relations entre les élèves et favoriser l’acquisition d’un ensemble de compétences indispensables au vivre-ensemble, à l’estime de soi, au respect de l’autre et, in fine, à la réussite scolaire de tous les élèves dans un climat scolaire serein." (Kit pédagogique sur les séances d'empathie, p5)
La base d'une relation empathique, bénéfique et respectueuse de chacun est l'honnêteté : envers les autres, mais aussi et surtout envers soi-même. Si nous souhaitons être compris par nos interlocuteurs, il faut que nous osions nous ouvrir en nous montrant tels que nous sommes en toute sincérité, aussi bien lorsque nous nous sentons forts que lorsque nous nous sentons vulnérables. Mais, pour oser se dévoiler, il faut pouvoir se sentir en confiance. C'est pour cette raison qu'évoluer au sein d'un environnement éducatif sensible aux ressentis des usagers est primordial, pour encourager la confiance en soi.
Universal Pedagogia English School France, le 16 Août 2015. (mise à jour le 12/05/24)
L'intégration de l'empathie ?
Pourquoi souhaitons nous intégrer l'empathie au cœur du système éducatif français ?
Pour palier aux difficultés croissantes liées à la violence, au harcèlement ainsi que de nombreux autres problèmes qui se seront répercutés à l'avenir au cœur de notre société. L'idée du ministère de l’Éducation nationale était d'introduire la notion d'empathie dans les cours d'éducation à la citoyenneté et d'éducation civique, pour que les jeunes soient en mesure de se mettre les uns à la place des autres en ressentant les émotions d'une victime de harcèlement, dues à des relations entre élèves basées sur l'intolérance, l'injustice et la loi du plus fort. Les statistiques sur la violence scolaire, l'augmentation de la délinquance et les recherches sur lesquelles s'appuient les guides du ministère sur "le climat scolaire" parus en 2013 et 2014, semblent confirmés cette tendance concernant les relations malsaines entre enfants.
Cependant, nous vivons dans une société paradoxale. Premièrement, d'un côté nous voulons prôner l'empathie alors que nous assistons à une invitation à la désensibilisation de la population, notamment des plus jeunes, à travers des scènes de films ou de jeux vidéos de plus en plus violents et cruels dont la devise est la domination à tout prix.
De plus, les avancements au niveau de la technologie militaire semblent confirmer cette tendance à la désensibilisation : des drones commandés par des soldats loin du terrain, qui appuient sur un bouton comme s'ils étaient face à un écran de jeu vidéo, pour tuer non pas des personnages fictifs mais des humains bien réels ; ou la création de "robot-soldats", comme ceux présentés au concours DARPA le 5 et 6 juin 2015, capables de tuer, évitant ainsi des pertes humaines. N'assiste-t-on pas à la création d'une illusion qu'une prise de distance sur le plan physique face à la guerre du futur, entre robots artificiellement intelligents, nous épargnerait des horreurs sur le plan émotionnel et psychologique de la domination de l'autre afin de résoudre un conflit ?
Deuxièmement, l'autre grand paradoxe de notre société actuelle, est due à notre vision de l'émotion. Nous ne nous autorisons pas à véritablement exprimer nos émotions négatives. Nous éduquons nos enfants, aussi bien à la maison qu'à l'école, à ressentir et à exprimer tout ce qui est positif mais à fuir ou refouler les ressentis négatifs. Même les comptes de fées doivent se terminer de manière positive de nos jours, afin de se conformer à une vision bonbon rose de ce qui est considéré comme émotionnellement correct en public : cendrillon se marie avec le prince, le méchant Barbe bleue est tuée, le chasseur vient sauver le petit chaperon rouge... alors que ces fins d'histoires n'étaient pas toujours aussi positives (dans certaines versions originales du petit chaperon rouge, non seulement la grand-mère se fait manger par le loup mais la petite fille également). De ce fait, en public il faut toujours paraître émotionnellement "correct", que nous soyons présentateurs télé, politicien, gendarme, enseignants, vendeur ou tout autre professionnel, en se conformant à l'image associé à notre rôle.
Cependant, l'exemple que nous donnons à nos enfants est qu'il faut en quelque sorte avoir une "double" personnalité : une qui se conforme à la volonté de l'autre et une autre qui cache nos véritables ressentis et que l'on refoule. Nous voyons donc comme il peut être difficile de parler d'une mise en pratique de l'empathie dans un environnement qui semble nous inviter à nous transformer partiellement en robots, dépourvus de ressentis émotionnels en public.
De plus, l'empathie telle que nous voulons l'introduire dans les relations entre enfants et adultes n'est pas encore possible, dans la mesure où ceux qui l'enseignent n'ont pas été formés à cette pratique et ne l'appliquent pas forcément dans leurs vies quotidiennes (peut-être avec l'utilisation du "Kit pédagogique sur les séances d'empathie", les enseignants seront mieux équipés. Il est vrai que certains éducateurs suivent des formations dans le domaine de l'empathie, mais l'empathie commence avec l'acquisition de la capacité à ressentir et à exprimer en toute honnêteté ses propres émotions : le positif comme le négatif, peu importe si l'on est en public ou pas. Combien d'entre nous osent vraiment dire ce que nous ressentons et pensons à tout moment ? Combien se sentent mal à l'aise lorsqu'ils voient une personne en larmes et essayent de fuir la situation ? Combien diront « Ne pleure pas » lorsqu'ils doivent consoler quelqu'un, plutôt que de l’encourager à pleurer ? En agissant ainsi, nous confirmons que pour nous, l'émotion positive est autorisée mais que l'expression de l'émotion négative est à fuir. Cependant, pour être un individu en phase avec ses émotions et capable d'empathie, il faut être à l'aise avec les deux aspects : positifs et négatifs.
Autre point, la difficulté dans notre société actuelle, est de montrer que l'on soit capable de "tout" assumer sans capituler sous le poids des émotions négatives, peu importe la pression ou les inattendus. Il faut mettre de côté ses ressentis pour paraître fort et invulnérable afin de mettre à l'aise notre entourage, et ceci afin de réussir à tout concilier : travail, entretien et gestion de la maison, vie amoureuse, vie familiale, gestion des activités extra-scolaires des enfants, leurs devoirs, les besoins des uns et des autres ...
Et il faut aussi trouver le temps de s'amuser pendant qu'on est en train d'être super maman, super papa et, si l'on travaille dans le milieu éducatif, super prof. Toutefois, si l'exemple que nous donnons à nos enfants est de continuer à assumer nos responsabilités quotidiennes en ignorant nos véritables ressentis, nous les conduisons très efficacement vers le chemin du burn-out et de la dépression, plutôt qu'à celui de l'empathie envers soi-même : c'est à dire la capacité de ressentir, écouter et exprimer ses propres émotions. Avant de commencer à vouloir enseigner l'empathie aux autres, on ferait mieux de commencer à s'autoriser à être empathique envers nous-même.
A chacun d'en prendre conscience afin de commencer à réellement avancer vers cette démarche pédagogique bénéfique à tous.
De plus, il est primordial de reconnaître que le message enseigné actuellement concernant l'empathie est confus pour nos enfants et nos élèves. D'un côté il faut qu'ils soient empathiques dans leurs relations entre jeunes, mais lorsque nous leur imposons un travail à faire parce qu'il est au programme et parce que nous avons besoin d'avancer, nous nous éloignons d'une démarche empathique. Ne retombons-nous pas dans une relation basée sur l'intolérance, l'injustice et la loi du plus fort lorsque cela nous arrange ? Ressentons-nous vraiment ce que ressent l'autre ou préférons-nous fuir de nouveau l'expression honnête de l'émotion négative, que notre propre stress a provoqué ? Si l'on ne s'autorise pas à ressentir nos propres émotions négatives, et à les exprimer, il serait difficile de les percevoir chez l'autre, surtout si nous en sommes la cause.
C'est pour ces raisons que pour l'instant, nous ne pouvons faire que semblant de parler "d'empathie" dans le paysage éducatif français, et que nous n'éduquons pas réellement selon ce principe. Tant que nous essayons de pratiquer une empathie "sélective", bonne pour les relations entre enfants mais pas pour les relations de subordination, nous ne serons pas non plus en train de véritablement éduquer selon le principe de l'empathie.
Universal Pedagogia English School France, le 25 Août 2015. (mise à jour le 12/05/24)